Des ailes pour une passion
Antoine de Saint-Exupéry fut d’abord un pilote militaire. Avant d’entrer dans la légende avec l’Aéropostale, il fut un pilote réserviste totalement anonyme. Antoine, Jean-Baptiste, Marie, Roger de Saint-Exupéry naquit le 29 juin 1900 à Lyon. Il venait d’une ancienne famille de la noblesse française originaire du Sud-Ouest. L’arbre généalogique qui plonge ses racines dans l’histoire de France compte plusieurs ancêtres militaires.
Sursitaire, Antoine de Saint-Exupéry fut appelé sous les drapeaux en avril 1921 pour effectuer son service militaire de deux ans. Il fut affecté au sein du 2e régiment d’aviation de chasse (2e RAC) comme soldat de deuxième classe à la section des ouvriers d’aviation. L’unité était installé dans la caserne Guynemer, dans le camp de Neuhof (dit le “Polygone”), au sud de Strasbourg. Sa dotation se composait de chasseurs Spad VII, XIII et des biplaces Spad XX. Le renom des dix escadrilles de ce régiment se traduisait par l’empreinte des grandes figures de l’aviation militaire qui venaient de s’y illustrer: Guynemer, Deullin, Dorme, de la Tour, Heurtaux pour l’escadrille SPA 3; Chaput et Noguès pour la SPA 57; Nungesser pour la SPA 65 et Fonck pour la SPA 103. Cependant, il n’était pas question de voler pour Saint-Exupéry à cette époque, cloué au sol avec les mécaniciens. André Huguenet, mécanicien navigant, raconta bien plus tard dans Icare: “Alors que la grande majorité des escadrilles étaient équipées de monoplaces, la SPA 124 [héritière de l’escadrille La Fayette, NDLR] avait été dotée de biplace Spad. Et c’est précisément sur ces biplaces Spad-Herbemont que Saint-Exupéry avait décidé de voler. Les pilotes, dont beaucoup étaient des jeunes as couverts de décorations, accueillaient avec sympathie les bleus qui leur demandaient de faire un tour. Mais généralement les soldats n’y revenaient pas, car les pilotes ne se gênaient pas pour “sonner” leurs malheureux passagers d’occasion au cours de mémorables séances de voltige. Le soldat Antoine de Saint-Exupéry avait bien résisté à la première démonstration et en avait redemandé.”
“Ça tient l’air comme un requin dans l’eau”
L’avion impressionna quelque peu Saint-Exupéry, qui le décrit ainsi à sa mère en juin 1921: “Un avion terrible! Ça tient l’air comme un requin dans l’eau, et ça y ressemble, les avions de reconnaissance au requin! Même corps bizarrement lisse. Même évolution souple et rapide. Ça tient encore l’air, vertical sur les ailes.” La frustration s’installe néanmoins chez Saint-Exupéry: “Vienne vite le pilotage et je serai parfaitement heureux”, écrit-il alors à sa mère. Cependant, son service militaire ne comprenait pas son installation aux commandes d’un avion.
Ouvrons ici une parenthèse à propos de la formation des pilotes militaires au tout début des années 1920. Le cursus classique passait par une première phase d’apprentissage en école civile; les officiers passaient eux par Versailles. Ces écoles étaient assez nombreuses à l’époque, d’anciens pilotes et des constructeurs d’avions espéraient y trouver des débouchés financiers substantiels. Citons par exemple Nungesser, qui animait une école de pilotage privée à Orly. Elle était néanmoins financée par l’État, les élèves bénéficiant d’une bourse. Guillaumet y fut formé et obtint ainsi son brevet de pilote militaire le 15 octobre 1921. Plusieurs écoles sous contrat pouvaient former des soldats comme pilote – par exemple l’école Morane à Villacoublay, Blériot à Buc ou Farman à Toussusle-Noble. Caudron ajouta à l’école du Crotoy celle d’Ambérieu-en-Bugey. Henriot proposait des leçons de pilotage à Chalons-sur-Marne.
L’élève pilote passait parfois dans une section d’entraînement au pilotage intégrée à un régiment, avant de suivre son perfectionnement au Centre d’instruction militaire d’Istres. Ce fut le cas de Jean Mermoz, qui fit ses classes au 34e régiment d’aviation avant de rejoindre Istres, où il fut breveté le 9 février 1921.